Cet article est disponible en anglais.
Depuis plusieurs années, Sophia Benoit est chroniqueuse au sein du magazine américain GQ, alors sous la direction du désormais ex-rédacteur-en-chef Jim Nelson. Spécialisée dans les relations amoureuses et la sexualité, la Maïa Mazaurette américaine explique régulièrement à ses lecteurs comment avoir un orgasme sans sexe, comment parler de #MeToo correctement, offre un guide de démonstrations publiques d’affection (communément appelés PDA outre-Atlantique) pour un gentleman, et défend l’idée que le sexe sur un canapé est bel et bien le meilleur sexe. Ne pas réussir à trouver l’amour après avoir lu l’intégralité des articles écrits par Sophia Benoit tiendrait de l’impossible. Sous son impulsion, la newsletter de l’édition américaine de GQ « u up ? » permettait à ses abonnées de recevoir une sélection des articles de ses articles, ainsi que des témoignages d’hommes modernes à la recherche de conseils et les réponses qu’apportait la sexperte. En dehors de son activité dans le magazine américain, Sophia Benoit est également scénariste, travaille dans l’émission Lights Out with David Spade sur Comedy Central, et a plus récemment lancé sa propre newsletter appelée « Here’s the Thing » disponible sur son site internet.
Véritable source d’influence sur Twitter, Sophia Benoit (@1followernodad) utilise également sa voix pour apporter son avis sur l’évolution politique de son pays, les conditions des migrants sud-américains à la frontière des États-Unis, et le changement climatique au centre de toutes les attentions depuis de nombreux mois. En plein débat de la primaire Démocrate pour la présidentielle américaine de 2020, Sophia Benoit a accepté de se dévoiler avec candeur sur son parcours, son enfance dans une Amérique blanche et conservatrice, sur comment Twitter a changé sa manière de voir la vie, sur sa carrière, et ce qu’elle imagine pour la suite.
Éclectique : Quel âge as-tu ? D’où viens-tu ?
Sophia Benoit : J’ai 26 ans, je suis originaire de Saint-Louis dans le Missouri. J’habite maintenant à Los Angeles.
Quand as-tu commencé à écrire, et de quoi parlaient tes premiers articles ?
J’ai commencé à écrire quand j’étais petite mais je ne publiais rien. J’écrivais juste des petites histoires pour moi. Je n’ai jamais vraiment envisagé de devenir écrivaine ou de faire une carrière de rédactrice avant de commencer l’université, il y a à peu près huit ans. Mes premiers écrits étaient plutôt des essais ou des listes humoristiques.
Est-il difficile de vivre de l’écriture aujourd’hui ? As-tu déjà éprouvé des difficultés à en vivre, et éventuellement envisagé une autre carrière professionnelle ?
Je n’ai jamais écrit à temps plein. J’ai toujours eu au moins un, voire plus souvent deux ou trois autres jobs en plus de l’écriture. L’écriture n’est juste pas si lucrative ni stable. Si je ne faisais qu’écrire, je gagnerais environ 10 000 à 15 000$ par an MAXIMUM, ce qui n’est clairement pas faisable à Los Angeles (et à peu près partout aux États-Unis).
Possèdes-tu un journal personnel ? Si oui, qu’est-ce qu’écrire dedans change dans ta manière de vivre ?
Je n’en ai pas actuellement non, principalement parce que j’écris tellement que je n’ai simplement pas le temps. J’ai un travail à plein temps, j’écris pour GQ, et je m’occupe de ma newsletter donc chaque temps libre que j’ai est dédié à des projets créatifs que je veux faire plutôt que juste pour moi. J’ai tenu des journaux dans le passé mais ils sont généralement actualisés quand j’ai un énorme crush sur quelqu’un et que je suis pleine d’angoisse et de drama. Ils sont vraiment drôles à relire !! Mais maintenant ma vie est assez stable.
Pourquoi as-tu décidé de lancer ta propre newsletter (sur Substack) ?
GQ a décidé de ne pas prolonger la publication de ma rubrique de conseils, que j’aimais vraiment, vraiment écrire. Alors j’ai décidé de créer la mienne. J’ai énormément lu sur le sexe et les relations, à la fois pour mon travail et par intérêt personnel, alors même si je ne suis pas une experte sur un sujet, j’ai généralement lu ou réfléchi en amont à ce sujet. Si je n’ai fait aucun des deux, j’essaie de faire quelques recherches sur ce que d’autres personnes ont dites et je pense à ce que je ferais dans cette situation.
Comment en es-tu arrivée à écrire pour GQ ? Est-ce que s’adresser à des hommes était quelque chose que tu voulais faire depuis longtemps ou une opportunité que tu as saisie ?
Ça ressemble à une phrase bateau, mais j’ai aimé GQ pendant des années. J’étais abonnée pendant l’université avant même que j’écrive pour eux. Ils faisaient un travail de magazine parmi mes préférés. Je suis un grand fan de magazine ; j’ai écrit ma dissertation d’entrée à l’université sur ô combien j’aimais les magazines. Alors lorsque mon ancienne éditrice Lauren Larson m’a contacté en me demandant si je voulais essayer d’écrire pour eux, j’ai CRIÉ. C’était comme si quelqu’un vous appelait et vous disait : « Salut, est-ce que tu veux le job de tes rêves ? ». Et ça a été un job de rêve pour moi. J’adoreécrire pour les hommes. J’adore écrire pour un magazine. Ça devient difficile désormais car j’ai énormément de rubriques sur des sujets similaires que je suis toujours inquiète de ne plus avoir d’idées, mais je suis vraiment très très heureuse à GQ. Je sais que la plupart de ce que j’ai dit sonne faux !!
Alors que tu es lue par une audience majoritairement masculine, as-tu déjà reçu des messages de personnes qui ont été influencés par tes articles ?
Oh, tout le temps ! Il n’y a pas de façon de le dire sans paraitre prétentieuse, mais des gens m’ont contacté pour me dire qu’ils avaient utilisé ce que j’avais écrit dans leur propre vie sentimentale et sexuelle et il n’y a rien de plus gratifiant que cela. C’est juste la meilleure sensation du monde. Je regrette de ne pas avoir enregistré certains messages, honnêtement, car les gens sont juste tellement gentils et ouverts. La plupart des gens sont vraiment adorables sur ça.
Sur quel sujet que tu n’as pas encore abordé aimerais-tu écrire ?
J’aimerais vraiment écrire plus de fiction honnêtement. Mais mes intérêts restent les mêmes que ce soit de la fiction ou non. J’aime lire et écrire sur les femmes et le sexe et l’amour et les relations et la famille. Ce sont les vraies préoccupations de la vie pour moi. Je ne porte pas trop d’attention aux romans fantastiques ou aux épopées captivantes avec une douzaine de personnages. Je veux lire des vrais choses de la vie des gens dans des histoires simples.
Est-ce que tu regardes la télévision/Netflix ? Quelle est ta série préférée ?
Je regarde la télé aujourd’hui plus que jamais auparavant parce que je vois quelqu’un et c’est une activité facile à faire après de longues journées. Mais je n’ai jamais vraiment été une enthousiaste de la TV. Je ne suis vraiment pas du style à m’asseoir sans bouger et à ne rien faire ; je finis par me sentir coupable. Mais maintenant que j’ai un petit ami je me dis : « Oh ça compte comme du temps passé ensemble et du temps de repos et je me mets à jour sur ce qu’il se passe à la télé. » Je dois me persuader que je suis productive même en regardant la télévision ahah. En ce moment mes séries préférées sont Fleabag,Dead to Meet The Bachelor. Il y en a plus, mais ceux-là sont ceux où j’ai eu le sentiment de devoir regarder CHAQUE épisode.
Quels albums écoutes-tu en ce moment ?
Je ne sais pas trop, je n’écoute pas trop d’albums spécifiquement, mais les artistes que j’écoute sont Fleetwood Mac, Lizzo, Beyoncé et ABBA. Oh et aussi j’adore Simon & Garfunkel, je tweet beaucoup à leur sujet.
Toi qui as une influence certaine sur Twitter, et qui en est une utilisatrice fréquente, comment Twitter a changé ta vie pour le meilleur ? Est-ce que Twitter a également changé ta vie pour le pire ? Est-ce que ce réseau t’as permis d’exprimer tes opinions plus largement ?
J’ai rencontré beaucoup de mes amis actuels sur Twitter, j’ai rencontré mon petit ami sur Twitter, j’ai obtenu mes deux jobs de deux personnes rencontrées de Twitter. Twitter a forgé ma vie d’une manière dont je ne suis probablement pas reconnaissante. J’ai obtenu beaucoup (beaucoup, beaucoup, beaucoup) de belles choses de Twitter. Ça m’a également rendu plus engagée politiquement et m’a appris énormément. Je devrais le reformuler. Twitter ne m’a pas appris autant que les gens sur Twitter, surtout les mots et les écrits des femmes de couleur. Il y a tellement d’informations sur Twitter que je n’ai jamais été exposée ou j’ai choisi de ne jamais être exposée à mon enfance dans une communauté majoritairement blanche, rurale, et conservatrice du Missouri et Twitter a vraiment ouvert tout ça. Lorsque les gens disent que vous ne pouvez pas changer les mentalités en tweetant sur différentes choses, je ne suis absolument pas d’accord. Twitter m’a fait devenir féministe. Twitter m’a fait longuement réfléchir à mes préjugés raciaux dont je ne me sentais pas coupable parce que j’étais ouvertement une Démocrate. Twitter est là où j’ai appris plus de choses sur les droits des handicapés, sur les litiges fonciers, sur les préoccupations des peuples autochtones et sur les problèmes raciaux, les vies des personnes transgenres et tellement plus de choses. Ça a été l’une de mes meilleures influences de ma vie.
Bien sûr, il y a aussi beaucoup de haine sur ce site, et parfois je me compare aux carrières réussies d’autres personnes, je deviens aigri, je perds en confiance en moi, ou je me mets en concurrence car je ne vois que ça sur Twitter. Mais je ne pense pas que le mauvais (de Twitter) prend le dessus sur le bien personnellement. (Principalement parce que je suis une femme blanche de la classe moyenne)
Peux-tu me dire qui tu choisirais pour l’élection présidentielle de 2020 ?
Pour l’instant, en me basant sur ce qu’ils ont fait jusqu’à présent, j’aime beaucoup Jay Inslee, Elizabeth Warren et Bernie Sanders. Mais ils ont tous aussi des choses que je n’aime pas non plus, ou des choses qu’ils auraient pu mieux gérer. Je veux un candidat progressif. Je veux quelqu’un avec une politique climatique excellente. Je veux quelqu’un avec une bonne politique sur les inégalités raciales et les inégalités de salaire. Je veux quelqu’un qui pense aux populations marginalisées. Je veux quelqu’un qui taxe les riches jusqu’à la moelle. Rien de moins que cela serait extrêmement décevant.
En 2016, beaucoup de gens ont dit qu’ils quitteraient les États-Unis en cas d’élection de Donald Trump ? Mais ces gens sont restés, dans l’espoir d’un résultat différent en 2020. Quelles leçons peut-on tirer de quatre années de Trump à la Maison Blanche ?
Je pense que la majeure partie des gens qui ne sont pas des blancs savaient déjà ce que des blancs modérés découvrent seulement. La raison pour laquelle il y a autant de contestation aujourd’hui est que les personnes blanches ressentent finalement un aperçu minuscule que ce que c’est de se faire refuser certaines choses (sécurité sociale, désignation de juges, etc.). Mais je crois que si tu demandais à une personne de couleur, ils vivaient déjà dans ce monde et ils étaient déjà au courant de tout cela. Je ne dis pas cela pour minimiser l’impact de Trump, mais pour dire que même sans lui, nous devions déjà supporter Mitch McConnell et Paul Ryan et toutes ces autres mauvaises personnes. La leçon à en tirer est de s’engager et de combattre des politiques avec des gens qui ont fait ça pendant des années.
Où t’imagines-tu dans une dizaine d’années ?
Oh wow, probablement en train d’angoisser atrocement sur le choix d’avoir des enfants ou pas et si je peux financièrement le permettre. J’écrirais encore certainement et j’espère avoir un contrôle créatif sur ce que je fais. J’espère avoir une stabilité financière et utiliser cette stabilité pour aider d’autres personnes et faire plus d’activisme. D’un point de vue professionnel, j’espère avoir publié 3 à 5 livres d’ici-là. J’aimerais écrire pour une série TV ou avoir vendu un scénario de film. J’aime beaucoup écrire, VRAIMENT beaucoup. Je sais que les gens disent que c’est dur et ça peut certainement l’être, mais j’essaie de ne pas rentrer dans ce cadre. Je trouve que l’écriture est vraiment amusante. C’est tellement un rêve devenu réalité de simplement faire ce job, que j’essaie de ne pas m’en plaindre. C’est comme si je me plaignais de manger du gâteau tous les jours et que je ne prenais pas un seul kilo !!!