WindowSwap, fenêtres sur le Monde

Cet article est disponible en anglais.

L’année passée et les conséquences de ce que nous avons tous connu ont chamboulé notre champ de sensations comme jamais auparavant. L’impossibilité de voyager, à quelques kilomètres ou à l’autre bout du monde a fait disparaitre le bonheur que provoque la découverte de l’étranger ou l’excitation du départ.

Pour remédier à cet enfermement dans nos intérieurs, Sonali Ranjit et Vaishnav Balasubramaniam ont décidé de créer WindowSwap. Leur volonté : « remplir le vide profond dans nos cœurs d’aventuriers ». WindowSwap, c’est un lieu sur internet dans lequel on passe de fenêtre en fenêtre tout autour du monde. Un espace où on voyage à travers les vidéos qui défilent, les unes après les autres.

Ces instants, parfois sonores, parfois muets, provoquent l’étrange et l’agréable sensation du voyage vers une destination inconnue. Loin des idéaux de voyages façonnés sur Instagram et TripAdvisor, on entre ici dans la réalité. Celle de personnes ordinaires qui filment leur fenêtre en rentrant du travail ou au petit-déjeuner. La sensation d’être nous aussi, immergés au bord d’un immeuble de Taipei ou dans la campagne texane. La vision de l’étranger, alors que nous sommes plus que jamais plongés dans un quotidien où la ressemblance des jours fait perdre la notion du temps, permet de se relaxer, de découvrir d’autres univers. Ailleurs. Loin.

C’est aussi l’opportunité d’imaginer notre monde d’après. Alors que le rythme de la vie nous pousse inexorablement vers l’avant, jamais n’aura-t-on eu aussi envie de retourner en arrière. Quand les photos retrouvées dans la pellicule du téléphone provoquent l’immédiate frustration de ne plus pouvoir bouger, ces milliers de vidéos immobiles de quelques minutes nous servent de remède à la fenêtre que nous voyons chaque jour beaucoup trop.

C’est à ça que servent les Fenêtres sur le Monde. À transporter, à faire rêver, à permettre l’accès vers une vue impossible. Comme avant 2001, au 107ème étage de la tour nord du World Trade Center.

Pour Éclectique, Sonali et Vaishnav ont accepté de parler d’eux, de leur vie, de leur fenêtre et de toutes les autres.

Éclectique : Pouvez-vous vous présenter ?

Sonali : Vaishnav et moi vivons actuellement à Singapour et nous travaillons dans la publicité. Je travaille à l’agence BLKJ en tant que directrice artistique. Vaishnav travaille comme rédacteur à l’agence Leo Burnett. J’ai 32 ans, Vaishnav en a lui 36. On est tous les deux originaire d’Inde.

Comment avez-vous eu l’idée de créer WindowSwap ?

En mai, pendant la période la plus stricte du confinement à Singapour, on se sentait angoissé dans notre T1. On se baladait sur Instagram où on a vu la vidéo de la vue d’une fenêtre d’un ami à Barcelone. Je me rappelle qu’il se plaignait de s’ennuyer (il était aussi confiné), mais nous on trouvait ça magnifique. On a blagué avec lui sur le fait de simplement échanger d’appartement avec lui quand on a eu l’idée du projet. Si on ne pouvait pas échanger d’endroit, pourquoi ne pas échanger la vue de nos fenêtres. Et prétendre ainsi y être pour un court instant.

On savait que c’était une idée très simple, et que si on ne le faisait pas, quelqu’un le ferait à notre place. Alors on voulait se dépêcher. On a réuni 16 de nos amis autour du monde et on leur a demandé de nous envoyer leur vue. Puis on a cherché on développeur freelance (Maryam Touimi Benjelloun) pour le faire. De l’idée à la publication du site, cela a pris entre 3 et 4 semaines.

Vue de l’appartement de Sonali et Vaishnav, à Singapour

À propos de l’aspect graphique du projet, comment avez-vous procédé ?

On a essayé quelques designs différents, certains plus à la mode et d’autres plus travaillés, puis d’autres plus propres et minimalistes, et nous avons choisi le design actuel car il nous paraissait plus chaleureux et plus cosy que les autres.

On voulait que le site soit accueillant et humain, presque comme une maison. Surtout que nous essayons fondamentalement de pénétrer dans la vie privée du propriétaire de la vidéo. On a aussi essayé plusieurs images pour la page d’accueil, avant de finir sur le GIF1 de cette fenêtre floue. Ce que nous avons adoré car cela faisait penser à une fenêtre, mais ça restait mystérieux sur l’emplacement de la fenêtre.

Exemple de la police « Recoleta », utilisée sur le site de WindowSwap (WindowSwap – Capture d’écran).

On a aussi pensé que la police Recoleta (plutôt qu’une police sans serif) était la police parfaite. On s’est aussi assuré que le design et l’UI était aussi restreint que possible. Simplement pour ne pas que ça envahisse la vidéo. La vue de la fenêtre doit toujours rester au centre de l’attention. 

Comment avez-vous obtenu de plus en plus de soumissions de vidéos ?

Comme je t’ai dit, les premières vidéos venaient de nos amis. Puis on a publié un article sur Bored Panda et contacté quelques journalistes. Un article en amenait un autre. WindowSwap a désormais plus de succès que nous pouvions imaginer. On est tellement heureux que ça ait touché autant de gens dans le monde.

Combien de vidéos avez-vous reçu ?

À ce jour, plus de 8000. Et on a perdu le compte du nombre de villes !

À gauche, la fenêtre de David à Ottawa (Canada). À droite, celle de Steve à Bichkek (Kirghizistan).

Qu’avez-vous appris de cette expérience ?

WindowSwap est là pour apporter une nouvelle perspective. Pour vivre dans un autre pays, dans les chaussures de quelqu’un d’autre. Ou simplement voir votre propre vie avec un œil nouveau.

On pense que ça aide à construire plus d’empathie vis-à-vis des autres. Comprendre un sens de connexion entre nous. Et d’un coup réaliser que nous sommes beaucoup plus similaires que ce que nous sommes différents.

Avez-vous reçu des retours de personnes qui vont ont parlé de WindowSwap, et de l’impact de ce projet ?

Oui ! On a reçu de nombreux e-mails de compliments et de remerciements pour le site. Et ça a fait notre année !!

Les gens semblent revenir sur le site quotidiennement ou quelques fois dans la semaine, et sentent un réel sens de connexion et d’appréciation avec ceux qui ont partagé leur fenêtre sur le site. On a remarqué que beaucoup de professeurs l’utilisaient avec leurs classes pour apprendre l’écriture créative, la géographie ou simplement comme pour briser la glace avec leurs élèves.

Le site est « powered by Vimeo ». Pouvez-vous m’en dire plus sur leur implication dans WindowSwap ?

Vimeo ne nous soutient pas financièrement, on paye toujours notre abonnement Vimeo Pro pour héberger les vidéos. Cependant, comme le nombre de vues et de streams est inhabituellement élevé, ils auraient pu nous faire payer l’excès de streams.

Comme nous sommes une organisation à but non-lucratif, et qu’ils ont réalisé le calme et le bonheur que dégageait WindowSwap, ils ont été assez sympa pour ne pas nous imposer les frais supplémentaires. C’est pour cela que la mention « powered by Vimeo » apparait sur la page d’accueil.

Enfin, comptez-vous garder le site indéfiniment ?

Honnêtement, on en a aucune idée ! On va voir avec le temps ! On va le garder autant qu’on peut se le permettre financièrement, et tant que les gens y trouvent un intérêt !

  1. Ce GIF est également l’illustration de cet article