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Tiger King fait des émules à travers le monde confiné, et l’on comprend pourquoi dès les premières minutes. Quand le documentaire se termine, ne reste que les questionnements : qu’est ce que je viens de voir ? Comment ? Pourquoi ? Deux sentiments prennent le dessus : la compassion et la colère.
De la compassion pour un roi égaré
Comment parler de cette… chose ? Tiger King – ou « Au royaume des fauves » en français – est une série documentaire de sept épisodes disponible sur Netflix. Elle met principalement en lumière le personnage de Joseph Allen Maldonado-Passage, qui se présente sous le nom de Joe Exotic. Ce personnage haut en couleur est un amoureux des félins, si bien qu’il décide un jour de construire un zoo leur étant quasi-exclusivement destiné dans l’Oklahoma. Sauf que Joe Exotic n’est pas un personnage comme les autres.
Voilà le nom qu’il y a sur toutes les bouches : Joe Exotic. Ce personnage – et ce mulet, mon dieu ce mulet – si extravagant qu’il en devient bizarrement attachant. Pourtant Joe n’est pas un Saint : loin de là. Joe Exotic est dans une lutte acharnée pour être aux yeux de toutes et tous le « Tiger King », le roi des tigres. Cet objectif, c’est plus de vingt ans de sa vie à s’attacher à des félins qu’il semble câliner dans son zoo. Ce même objectif, c’est aussi ce qui le pousse à créer sa propre émission de télé-réalité ou bien à prendre la parole régulièrement sur sa propre chaîne de télévision en ligne : JoeExoticTV.com. Le problème, c’est que son objectif deviendra une obsession qui le conduira en prison pour avoir commandité un meurtre.
Culte de la personnalité
Essayons d’être parfaitement transparent. Joe Exotic est totalement ravagé. Mais, réellement hein. Si l’on commence par le commencement, on parle ici d’un homme qui décide quotidiennement de faire des câlins à des tigres probablement très emmerdé d’être dans une cage. Et la perception que l’on a de sa folie empire au fur et à mesure des épisodes : on parle ici d’un homme qui a menacé de mort son ennemie jurée pendant des années en lui envoyant des serpents venimeux dans sa boite aux lettres ou encore en mettant une balle dans la tête d’un mannequin à son effigie en direct sur sa chaîne télévisée. PIRE ENCORE : on parle ici d’un homme qui a un piercing Prince-Albert muni d’un cadenas. Vous pouvez googler ça. De rien.
Mais Joe Exotic aime quelque chose au-dessus de tout : le pouvoir. Il en tire bien évidemment de la possession de tigres, symbole parfait de la puissance et du pouvoir à l’état naturel qu’il parvient à dompter. Cette domination sur des tigres en cage lui apporte une autre forme de pouvoir : le succès. Le succès avec les foules, qui lui permettra de garder son zoo à flot malgré les dépenses énormes pour nourrir les fauves, mais aussi le succès avec les hommes. Car Joe Exotic aime un certain type d’homme : jeunes, musclés et suffisamment perdus pour pouvoir les maintenir en entretenant une quelconque dépendance nocive.
Ce qu’il y a de fascinant avec ce documentaire, c’est cette capacité de creuser encore et encore dans l’incroyable. Cette faculté à nous étonner encore un peu plus quand on pensait que cela ne pouvait pas tomber plus bas. Sur cette même question du pouvoir, quand on pense que plus rien ne peut titiller la mégalomanie de cet homme, arrive nécessairement un moment où une pensée traverse notre esprit.
« Oh putain, il va se présenter à l’élection présidentielle ce ouf. »
Pierre, devant son écran
Et voilà que Joe Exotic décide de se lancer à la conquête du pouvoir national. Et le pire dans tout ça : c’est que cet homme, aussi incohérent et exubérant puisse-t-il être, nous fait ressentir une certaine tendresse. Quoiqu’il fasse, Joe Exotic est persuadé que cela va marcher. Se présenter aux présidentielles ? « J’ai mes chances ». Se présenter aux élections de gouverneur ? « Je vais être élu ». Convaincre 15 de mes pairs que je ne mérite pas la prison malgré les 19 chefs d’inculpation que la justice à contre moi ? « Je le sens bien ». Inviter la mère de son ex-mari qui venait de se suicider à son nouveau mariage comme pour attester de son approbation ? « Tout est normal ».
Tout le monde regarde Joe Exotic avec ce même regard, un regard de compassion pour quelqu’un visiblement à côté de la plaque qui pense que ses règles s’appliquent en dehors de son royaume grillagé. Regarder Joe Exotic évoluer, c’est comme assister à un crash : on sait que quelque chose ne va pas, que cela va (très) mal finir pour lui et ceux qui l’entourent, mais on ne peut quitter la scène des yeux.
De la colère pour un monde toxique
Joe Exotic est un cas particulier. Mais les autres personnages de ce documentaire sont exactement pareils. La possession de tigre aux Etats-Unis semble attirer le tiercé de la pire race de l’humanité.
Doc Antle, Jeff Lowe et Carole Baskin peuvent dire ce qu’ils veulent : ils ressemblent terriblement à Joe Exotic. Ces quatre individus qui apparaissent régulièrement à l’écran sont motivés par la même intention : le pouvoir. Un pouvoir affectif quasi-maladif, l’argent que le pouvoir apporte mais surtout le pouvoir sur les autres concurrents. Chacun de ces personnages est à la tête de ce qui ressemble à une secte dans laquelle les sujets travaillent 12h par jour pour un leader qui les remercient avec au pire de la gratitude, au mieux avec un salaire de misère et un toit bancal.
En affaires comme en amour, Joe Exotic recherche des sujets en détresse pour les faire travailler à son compte. Doc Antle recrute des jeunes femmes perdues et leur fait changer d’identité avant d’entrer dans ce que ses concurrents appellent – à raison ? – son « harem ». Carole Baskin initie des dizaines d’individus sensibles à la protection des animaux à travers des journées de sensibilisation à laquelle elle prend part mais sans s’adresser aux individus n’ayant atteint le « niveau 5 » du parcours d’initiation. Aussi légers soient-ils, ces hommes et cette femme réussissent à atteindre leur but : atteindre ce pouvoir.
Maîtres de dangereux fauves ou chantres de la protection animale, tout le monde semble être animé par le même égocentrisme qui vire à la pathologie. Les héros de ce documentaire ne sont centrés que vers eux-même. Que dire quand Joe Exotic est effondré à l’idée de perdre de l’agent lorsque son employée vient de se faire graille un bras par un tigre ? Quand Carole Baskin fait preuve d’un sang froid si incroyable qu’il en devient suspicieux lorsqu’elle évoque l’assassinat de son ex-mari ? Que dire quand Jeff Lowe est visiblement bien plus heureux de parler de la baby-sitter très à son goût de son futur enfant que de son futur enfant ?
Guerre d’ego
Pour nourrir son égo, tout devient donc permis : engager un tueur à gage pour 3000 dollars pour assassiner son ennemie jurée. Accuser une femme d’avoir tuer son ex-mari pour pouvoir en hériter – et en faire une chanson – peut-être même tuer son mari pour pouvoir en hériter. Parfumer les chaussures d’un propriétaire de zoo pour que l’un de ses tigres le dévore. Mettre les plus vieux de tigre de son parc dans des chambres à gaz quand ils représentent un gouffre financier qui ne peut être comblé par d’autres activités. Mettre le feu à un bâtiment contenant ses propres alligators pour brûler toutes preuves pouvant être saisies par la justice. Parler des testicules de son ex-mari, qui vient de se mettre une balle dans la tête, en guise de discours lors de l’enterrement. Tous ces faits ne sont peut être pas avérés. Mais serions-nous vraiment étonner d’apprendre que tout est véridique ?
L’égo et la recherche du pouvoir de tous les acteurs principaux de ce documentaire crève tellement l’écran l’objet du pouvoir vient à totalement disparaître. Quid des tigres ? Est ce que quelqu’un parmi cette bande de malades à un instant penser à l’objet initial de leur pouvoir ? Le fait est que les fauves sont secondaires. Tout le monde s’en bat les reins à une allure folle. Chaque personnage est préoccupé par l’argent, le pouvoir, les hommes, les femmes mais personne ne semble lever le petit doigt pour agir en faveur des tigres. Carole Baskin est celle qui semble les défendre le plus. Malgré tout, elle réussit à organiser dans le même temps des visites payantes à un public qui s’attendrit devant des fauves en cage. Comment appelle-t-on une femme qui organise sciemment ce qu’elle combat si ardument ?
Dans un monde où on peut douter de tout et surtout de n’importe qui, une seule lueur d’espoir nous est présentée. La seule personne qui parle du bien être des fauves est Kelci Saffery, l’employé du parc animalier de Joe Exotic qui se fait arracher une partie de son bras par un tigre dès le second épisode. Répétons un peu pour comprendre l’ironie de cette phrase : la seule personne qui se préoccupe des tigres dans cette guerre des égos est celle qui a vu son propre bras retiré de son corps par un tigre qui voulait casser la croûte.
Personne ne gagne. Tous les gens impliqués dans cette affaire se présentent comme défenseur des animaux. Mais aucun animal n’a profité de cette guerre. Aucun.
Kelci Saffery, dont l’entretien des fauves lui a littéralement coûté un bras.
Pour expliquer son attrait pour les tigres et la fascination qu’ils représentent, Doc Antle disait : « Il n’y a rien de plus cool, de plus sexy ou de plus représentatif du monde actuel qu’un tigre ». Le voilà le problème de ce documentaire : il est bien question du monde actuel. Tiger King n’est pas une fiction. Tout ce qui a été diffusé est bel et bien arrivé dans notre monde. Si le monde actuel ressemble à ce marasme où se côtoie folie meurtrière, oppression psychologique, maltraitance humaine et animale: s’il vous plaît, restons encore confinés deux ou trois décennies.