Caroline Calloway est quelqu’un. Influenceuse ? Écrivaine ? Escroc ? Ce n’est pas exactement ainsi qu’elle se présenterait. À s’en fier à son profil Instagram, suivi par plus de 700 000 personnes, Caroline Calloway se définit respectivement comme une écrivaine, une historienne de l’art, et une artiste. Son histoire, c’est celle de l’étudiante la plus cool de son lycée qui acquiert une popularité soudaine en faisant d’Instagram son journal intime digital. Qu’arrive-t-il quand par le poids des mensonges, cette popularité devient trop lourde ? C’est ça, l’histoire de Caroline Calloway.
L’américaine de Cambridge
La toute première popularité digitale de Caroline Calloway date de ses années étudiantes. Sur Instagram, elle racontait les aventures (les siennes) d’une jeune élève américaine de la prestigieuse université de Cambridge. Ses péripéties estudiantines lui avaient à l’époque rapporté plus de 340 000 abonnés. Une audience colossale qui a nourri l’espoir de transformer ce journal intime « social » en une publication éditée. Puis, au début de l’année 2019, Calloway promit à ses abonnés des « ateliers créatifs ». Avec une garantie. Pour 165$, les participants pourraient choisir leur thé ou leur café, partir avec un journal de notes personnalisé, et se faire des « nouveaux amis ». Pendant ces séminaires, Calloway apprendrait aux participants comment cultiver leur créativité ou comment solidifier leur communication sur Instagram. Chouette, mais cher. Enfin, chouette si seulement c’était vrai.
Le fiasco des « ateliers créatifs »
Avec un peu plus de 700 000 « followers » sur Instagram, ses « cours » consacrés au réseaux pourraient paraitre légitimes. Mais sa volonté de vous apprendre à comment « être vous-mêmes » semblait déjà bien plus douteuse. Dans un long thread sur Twitter, Kayleigh Donaldson (spécialiste en pop culture) avait dénoncé en détail l’arnaque en puissance que constituait ces séminaires. À cause d’une organisation désastreuse ajoutée à un plan initial foireux, les « creative workshops » de Calloway se sont juste transformés en une réadaptation du Fyre Festival. Et à l’instar des illustres Ja Rule et Billy McFarland, le bad buzz fut quasi-immédiat. Le récit d’un atelier type avait été également été raconté par la journaliste du New York Magazine Madison Malone Kircher.
« J’étais Caroline Calloway »
La notoriété de Caroline Calloway a véritablement explosé en septembre 2019. Le 10 septembre 2019, « I was Caroline Calloway » fut publié sur le média américain The Cut. L’article, publié par Natalie Beach raconte que cette dernière fut l’écrivaine fantôme (ghostwriter) de Calloway. Le récit retrace l’histoire d’une amitié entre Calloway et Beach du temps de leurs études à l’université de New York (NYU). Et comment Beach avait pendant des années durant aidé Caroline à créer son identité Instagram et cultiver sa popularité en ligne. Natalie Beach détaille des années de manipulation malsaine tournée en amitié et échanges de services entre amies. Quand Caroline est cette jeune femme belle et sûre d’elle, Natalie en est l’opposé. Natalie est l’ombre de Caroline, mais une ombre qu’il faut cacher sur les posts Instagram.
Prête-moi ta plume
Natalie qui, comme beaucoup d’autres new-yorkaises de son âge, galère avec le loyer et les fins de mois devenait alors la femme de ménage/concierge de Caroline. Pendant que Caroline est à la tête de son empire Instagram en plein essor de l’autre côté de l’océan. Une situation humiliante dont Natalie n’a pu se défaire, faute de pouvoir trouver d’autres alternatives que d’emballer des bijoux chez Urban Outfitters et peindre des appartements.
En 2015, « l’Instagram famous » Caroline fait l’objet d’une popularité progressive liée à l’accord annoncé d’un contrat d’édition d’un futur livre retraçant l’histoire de la jeune américaine. Sans contact depuis quelques temps, Natalie revient vers Caroline. Ensemble, elles reprennent les vieilles habitudes. Elle fut le prête plume de Caroline pour toutes les ébauches du futur livre. Sans naturellement recevoir aucun crédit pour travail.
Pendant des années, Natalie Beach fut la narratrice de la vie qu’elle voulait pendant que Caroline Calloway se noyait dans les mensonges d’une vie fantasmée, avec les followers en toile de fond.
Plus Calloway fit parler d’elle, plus elle en devint exposée. Et inévitablement, sa célébrité fut questionnée. Des soupçons d’achats de « faux abonnés », confirmés par le témoignage de son amie d’alors et des statistiques trouvés par ses détracteurs affirmant une proportion coupable entre le nombre de « likes » et le nombre d’abonnés ont heurté la réputation déjà endommagée de la belle américaine.
Au fil de l’érosion de la relation entre les deux amies, Caroline fut propulsée à la tête de son livre… qu’elle ne savait pas écrire. Les deadlines se sont ensuite enchainées sans que Caroline ne puisse produire quoi que ce soit. Jusqu’au jour où son éditeur lui demanda de rembourser 100 000 dollars.
Pendant des années, Natalie Beach fut la narratrice de la vie qu’elle voulait pendant que Caroline Calloway se noyait dans les mensonges d’une vie fantasmée, avec les followers en toile de fond.
Démystification
Pour Megan Angelo, auteur du livre « Followers », l’histoire de Natalie Beach et Caroline Calloway a au moins le mérite de mettre en lumière les travailleurs de l’ombre à la base du succès de ces influenceurs. Les réseaux sociaux ont créé une multitude de nouveaux métiers directement issus de ces nouveaux usages. Ces métiers sont si particuliers qu’ils ne permettent ni reconnaissance, ni salaire stable, ni carrière pérenne, ni ressources humaines. Le New York Times avait notamment dans une série de questions démystifié le buzz autour de Caroline Calloway, à travers des explications rationnelles de ce que signifie une popularité digitale dans la vraie vie.
Parlez de moi en mal, mais parlez de moi ! L’article à charge de Natalie Beach a été entretenu par la principale intéressée. Quand des « d’influencers » se retrouvent au cœur d’un bad buzz (et il y en a !), certains préfèrent rester silencieux pendant la tempête. Calloway s’est muée en véritable chasseuse de tornade. Captures d’écran à l’appui, elle avait frénétiquement répondu à l’essai de Beach à travers ses stories Instagram. Évidemment.
« Scammer »
Enfin, Calloway annonça qu’elle répondrait à son ancienne amie dans un livre intitulé « Scammer » (escroc). Livre sur lequel elle travaille encore à cette heure. Et alors que la crise du coronavirus bouscule de nombreuses industries et modifie les calendriers de publications de livres ou de sorties de films, Caroline Calloway décida de sortir cette réponse à travers des extraits publiés l’un après l’autre. Pour 17 pages, comptez 10$ 1. Elle a récemment assuré avoir levé 20 000$ pour les médecins dans le besoin de masques.
Dans le premier extrait, elle écrit que « certaines personnes sont nées avec une richesse matérielle et une pauvreté émotionnelle ». Elle revient sur cette relation tumultueuse avec Natalie Beach. Puis elle parle du long texte de Natalie qui, et c’est à noter, avait été professionnellement fact-checké.
Avec un éclair de lucidité, Calloway admet que « le coronavirus met vraiment en perspective la futilité du sort saphique de deux filles blanches ».
Prétendument d’une longueur de 3×15 000 mots comme elle l’avait annoncé, le premier extrait en fit seulement 6 000. De quoi faire des déçus. Sensation de déjà-vu pour Calloway. Alors sur Twitter, l’écrivaine/historienne/artiste s’est excusée en… montrant ses seins dans un tweet d’excuse qu’elle a ensuite épinglé sur son profil.
Son histoire fera fantasmer plus d’un producteur de cinéma, de maisons d’éditions en plus de faire saliver les centaines de nouveaux admirateurs de sa pros…. Euh plastique.
La fabuleuse histoire de Caroline Calloway manifeste les travers d’une société digitale attirée par les attraits apparents de ce qu’offrent les réseaux sociaux. Et comme le montre les posts de Caroline, l’ombre qui sort du cadre carré d’Instagram finit toujours par se voir.